Les rédacteurs web ou publicitaires commencent à être impactés par les outils d’IA générative comme ChatGPT. Outre Atlantique, certains ont été littéralement remplacés par ChatGPT : ils sont contraints de se reconvertir.
Est-ce le début de la grande vague de licenciements due à l’intelligence artificielle générative ? Des premiers témoignages de salariés ou prestataires qui ont perdu leur emploi à cause de ChatGPT sont parus la semaine dernière dans les colonnes du Washington Post aux États-Unis. Ils proviennent de rédacteurs web et publicitaires, une profession qui avait déjà été pointée du doigt par des analystes, en février dernier, comme risquant d’être particulièrement impactée par l’IA générative – comprenez, remplacée. Nos confrères relatent ainsi l’histoire d’Olivia Lipkin, une rédactrice publicitaire de 25 ans qui était salariée au sein d’une entreprise à San Francisco.
Seule à rédiger l’ensemble des messages publicitaires de sa société, elle s’est aperçue, à compter du mois de novembre dernier – mois du lancement de ChatGPT – qu’elle avait de moins en moins de choses à faire. La jeune femme a commencé à s’inquiéter lorsque ses supérieurs se sont mis à l’appeler « Olivia/ChatGPT », avant que le couperet ne tombe : elle a fini par être licenciée, sans explication. Pour cette dernière, il ne fait aucun doute que c’est ChatGPT le responsable de son licenciement.
Le chat conversationnel développé par OpenAI est en effet capable de rédiger des textes si on lui en fait la demande, de corriger des parties d’un premier texte généré qui seraient à retravailler ou trop longues, comme le ferait un assistant rédactionnel. Et même si pour certains experts, le résultat n’équivaut pas à un rédacteur humain pour son manque de style, et ses erreurs – les fameuses hallucinations qu’il peut commettre – le rapport qualité/coût en vaudrait la chandelle. ChatGPT coûte jusqu’à présent peu aux entreprises qui y ont recours, comparé au salaire d’un rédacteur. OpenAI ne fait payer qu’une vingtaine d’euros par mois sa version la plus récente, plus quelques centimes si les prompts (les commandes) sont trop nombreux. Ce montant, assez bas, lui permet d’être le premier sur le marché, tout en faisant tester à moindre coût son chat conversationnel par des milliards d’utilisateurs.
ChatGPT plébiscité malgré les hallucinations et la qualité moindre des textes
Et pour de nombreuses sociétés faisant appel à des rédacteurs, la réduction des coûts de leur budget rédactionnel vaudrait bien quelques couacs… et une baisse de la qualité des textes rédigés. Des erreurs, il y en a régulièrement : on a vu le site d’actualités Cnet avoir recours à l’IA pour des articles qui se sont révélés truffés d’erreurs. Le cas de cet avocat, qui a cité des précédents juridiques fictifs, a aussi été maintes fois commenté. De même, la baisse de la qualité des textes générés n’aurait que peu de poids face à l’argument du coût bon marché et bien moindre de l’IA face à celui d’un rédacteur humain.
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Ce n’est pas le cas de toutes les sociétés, mais l’équation serait vite réalisée pour la majorité d’entre elles, explique un autre naufragé de l’IA, Eric Fein, à nos confrères du Washington Post. Depuis une dizaine d’années, ce dernier facturait 60 dollars de l’heure pour rédiger des textes pour des sites web ou des supports publicitaires : de quoi le faire vivre confortablement, lui et sa famille. Mais c’est désormais terminé, en quelques mois, il a perdu tous ses gros clients. Un seul est revenu, déçu de la qualité des textes de ChatGPT, estimant que l’outil d’IA était incapable de rédiger des contenus avec son niveau de créativité, de précision technique et d’originalité.
Ils deviennent promeneuse de chien et chauffagiste
Dans l’histoire, à chaque apparition de technologie disruptive, comme la machine à vapeur, de nombreux emplois ont été détruits. Mais à chaque fois, d’autres métiers ont été créés. Ce constat sera-t-il aussi valable pour l’intelligence artificielle ? Pour l’instant, la seule « nouvelle fonction » à avoir été créée, depuis l’avènement de ChatGPT est celle d’instructeur ou de formateur d’IA, une personne qui corrige les réponses du chatbot, ou qui l’entraîne le chatbot… Et elle est loin de faire rêver.
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Ce n’est en tous les cas pas vers quoi souhaite se diriger Eric Fein. Le trentenaire préfère se reconvertir dans « un métier plus à l’abri de l’avenir », soit « un travail que l’IA ne peut pas faire », confie-t-il à nos confrères. Il va suivre une formation pour devenir technicien en chauffage, ventilation et climatisation, et envisage de suivre des cours l’année prochaine pour devenir plombier. Olivia Lipkin, la rédactrice californienne licenciée a, elle, décidé de faire une pause. Pour gagner sa vie, elle promène désormais des chiens, la journée. En attendant d’y voir plus clair sur ce qu’elle pourrait faire dans un monde dans lequel « la solution la moins chère, ce n’est pas une personne, mais un robot ».
Jusqu’à présent, le progrès technologique nous a libérés des tâches répétitives, épuisantes, ou à moindre valeur ajoutée. Mais cette fois, la technologie est sur le point de toucher des métiers à cols blancs, « les emplois les plus rémunérateurs et les plus créatifs, qui requièrent la formation la plus poussée », analyse Ethan Mollick, professeur associé à la Wharton School of Business de l’université de Pennsylvanie interviewé par nos confrères. OpenAI, dans une étude parue en mars dernier, estimait aussi que les postes les plus impactés par l’IA seraient « les emplois à revenu plus élevé », comme les traducteurs et interprètes, d’autres métiers liés à l’écriture, mais aussi les comptables et les ingénieurs de la blockchain. Les rédacteurs ne seraient donc… que les premiers de cordée.
Source :
Washington Post